La phase d’exécution est le moment de vérité de l’achat public. C’est là que les engagements pris lors de la mise en concurrence se concrétisent, que les prestations se déploient, que la dépense se consomme. Quelles sont les étapes clés à ne pas manquer ? Comment prévenir les écueils administratifs, juridiques, financiers ? Quelles sont les bonnes pratiques lorsqu’il s’agit de piloter correctement le travail des fournisseurs ? Voici un tour d’horizon des points de vigilance et conseils pratiques, issus de nos formations et études de cas.
Quelles sont les étapes clés du suivi d’exécution d’un marché ?
La préparation du marché
Contrairement à ce que l’on peut penser, tout commence bien avant la signature, dès la notification du marché au titulaire retenu. Cet acte juridique important précise le numéro du marché, son montant, sa durée et ses principales caractéristiques : il marque le véritable point de départ de l’exécution contractuelle, avec des effets sur les délais (démarrage des prestations, validité des offres) et les voies de recours (référé contractuel).
Pour créer les conditions d’un bon démarrage, mieux vaut organiser une réunion de lancement impliquant l’ensemble des parties prenantes (acheteur, prescripteur, titulaire). C’est l’occasion de partager une vision commune des objectifs et livrables, clarifier les rôles et responsabilités, acter le plan de charge et les jalons.
Côté acheteur, c’est le moment d’affûter ses outils de pilotage :
- Inscrire le contrat dans un registre des marchés pour suivre les échéances clés
- Créer un tableau de suivi opérationnel des actions, risques, indicateurs de performance
- Fixer un calendrier de revues périodiques pour mesurer l’avancement et traiter les points durs
Les événements modificatifs en cours d’exécution
Les marchés publics sont rarement figés. Ils sont très souvent ajustés par voie d’avenant pour tenir compte d’une poignée d’évolutions techniques, économiques ou réglementaires. Le code de la commande publique y consacre d’ailleurs une section entière (articles R2194-1 et suivants). Dans notre formation “Les modifications du marché en cours d’exécution”, nous parlons des modifications les plus fréquentes :
- L’intégration de prestations supplémentaires devenues nécessaires et ne pouvant être confiées à un autre prestataire pour des raisons économiques ou techniques (avec un plafond de 50%)
- La prise en compte de circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir (avec un plafond de 50% également)
- Le remplacement du titulaire en cours de marché, suite à une opération de restructuration (cession, fusion, acquisition)
- Des modifications non-substantielles (seuils de 10 à 15% selon le type d’achat) ou celles prévues dans les documents contractuels initiaux via une clause de réexamen claire, précise et univoque
Le suivi des sous-traitants et co-traitants
Autre paramètre à ne pas négliger : le contrôle des intervenants “périphériques”, qui gravitent autour du marché. Sous-traitants, co-traitants : ces acteurs de second rang ont un rôle crucial dans la réussite du projet. Pour les sous-traitants (exécutants auxquels le titulaire confie une partie des prestations), l’acheteur doit :
- Agréer chaque sous-traitant et accepter ses conditions de paiement avant tout commencement d’exécution
- S’assurer que le titulaire s’acquitte bien de ses obligations de paiement dans les délais légaux (30 jours après réception des pièces justificatives)
- Vérifier que le plafond de sous-traitance (fixé dans les documents de marché) n’est pas dépassé
- Exercer un contrôle sur les prestations sous-traitées et leur conformité au cahier des charges
Depuis 2021, les sous-traitants non payés par le titulaire peuvent d’ailleurs exercer une action directe auprès de l’acheteur pour obtenir le paiement des sommes qui leur sont dues.
Côté co-traitants (groupement d’entreprises qui s’engagent solidairement à exécuter le marché), le maître d’ouvrage doit notamment :
- Suivre l’exécution et la facturation des prestations réalisées par chaque membre du groupement
- S’assurer du bon transfert des informations entre co-traitants pour une exécution coordonnée
- Veiller au respect de la solidarité contractuelle en cas de défaillance d’un des membres
Nos experts vous livrent toutes les clés pour “Sécuriser les relations contractuelles de sous-traitance et cotraitance dans les marchés publics” lors d’une formation dédiée.
La réception des prestations
Dernière ligne droite de l’exécution : la réception, qui marque l’acceptation des prestations avec ou sans réserve. C’est un temps fort qui transfert la garde de l’ouvrage, la responsabilité et les risques au maître d’ouvrage. Elle doit donc se préparer méticuleusement :
- Organiser des opérations préalables de vérification (OPV) pour contrôler la conformité des prestations livrées aux stipulations contractuelles
- Consigner les éventuels défauts ou non-conformités dans des fiches de réserve
- Prononcer la décision de réception (sans réserve, avec réserves, ajournée ou tacite) qui fait courir les délais de garantie
- Suivre la levée des réserves par l’entreprise dans un délai spécifié
- Établir le décompte général et définitif (DGD) qui arrête les comptes du marché et lance le délai de réclamation
Comment optimiser le volet financier de l’exécution des marchés ?
Les modes de règlement des marchés
Question de trésorerie et de sécurisation des paiements, le choix du mode de règlement est un point sensible de la relation contractuelle, à acter dès la signature. Trois options sont sur la table :
- Les avances, versées avant tout commencement d’exécution, qui donnent un coup de pouce au démarrage (achat de matériaux, embauches). Leur taux est encadré (5 à 30% du montant du marché) et elles sont remboursables par précompte sur les sommes dues.
- Les acomptes, fractionnements du prix du marché qui rémunèrent un service fait. Ils sont versés mensuellement en fonction de l’avancement, sur la base de justificatifs (constats contradictoires, situations de travaux).
- Le solde, versé après constatation de l’achèvement des prestations, lever des réserves éventuelles et remise des documents exigés (DOE, DIUO, parfait achèvement).
Les prix : un enjeu majeur de négociation
Le prix est le nerf de la guerre et le carburant de la relation ! Sa structure a un impact direct sur l’équilibre économique du marché et la réactivité aux aléas. Trois formes sont possibles :
- Les prix forfaitaires, prédéterminés et non révisables, adaptés aux prestations standard (achat de fournitures, prestations courantes).
- Les prix ajustables, qui peuvent évoluer à la hausse ou à la baisse en cas d’imprévision (cas des accords-cadres à bons de commande).
- Les prix révisables, actualisés par une clause de révision (avec formule et indice) pour tenir compte de l’évolution des conditions économiques (cas des marchés pluriannuels).
C’est un vrai choix stratégique qui mérite d’être finement apprécié, en lien avec la nature et la durée des prestations. Une combinaison “mixte” est souvent pertinente pour répartir les risques. Pour maîtriser ce montage, suivez notre formation “Les prix dans les marchés publics” sur 2 jours.
Que faire en cas de difficulté d’exécution ?
Retards de livraison, prestations non conformes, conflits avec les sous-traitants : les marchés publics sont rarement un long fleuve tranquille ! Face aux aléas, mieux vaut avoir en tête quelques réflexes pour prévenir la crise ou limiter la casse.
La gestion des défaillances d’entreprises
Première alerte : les signes avant-coureurs d’une entreprise en souffrance. Retards dans l’exécution, incidents de paiement, turn-over anormal du personnel, demande d’avances de trésorerie, périodes de garantie non levées… N’attendez pas que les problèmes s’accumulent. Pour aller plus loin, inscrivez-vous à la formation “Gérer les défaillances d’une société”.
Dès les premiers symptômes, prenez attache avec vos services financiers et juridiques pour identifier le plus tôt possible les entreprises “à risque”, au vu de leur cotation Banque de France et de leur comportement sur les précédents marchés. Un sourcing amont sur la santé financière des candidats est toujours judicieux.
Si le titulaire rencontre de graves difficultés susceptibles de compromettre l’exécution du marché, vous pouvez activer plusieurs leviers :
- Le règlement direct des sous-traitants qui le demandent pour pallier la défaillance du titulaire
- La mise en demeure d’exécuter, avec un délai d’exécution raisonnable pour régulariser la situation
- L’exécution aux frais et risques, en substituant une autre entreprise (avec mise en concurrence) pour terminer les prestations aux dépens du titulaire défaillant
- La résiliation pour faute, en dernier recours, si le titulaire ne s’est pas exécuté dans le délai imparti après mise en demeure
Les mesures coercitives envers le titulaire
Dans la même veine, d’autres actions graduées permettent de prévenir ou de réagir aux écarts :
- La mise en demeure, rappel solennel (et antérieur à toute sanction) de respecter ses engagements contractuels et d’y remédier dans un délai déterminé
- L’application de pénalités en cas de retard dans l’exécution des prestations, sur la base du nombre de jours de décalage et du montant journalier prévu au marché (plafonné à 1/3000 du montant total)
- La suspension des paiements si les prestations ne correspondent pas aux spécifications du cahier des charges (jusqu’à la reprise de l’exécution dans les conditions prévues)
- Le blocage des cautionnements ou des retenues de garanties en cas de non-levée des réserves à la réception
Le traitement des litiges
Malgré toutes les précautions, les litiges peuvent survenir. Mauvaise exécution, travaux supplémentaires non actés, pénalités à tort, résiliation abusive : les cas de figure sont nombreux !
Premier conseil : ne laissez pas les problèmes s’enkyster. Dès les premiers griefs, ouvrez le dialogue avec le prestataire pour objectiver les faits, circonscrire le différend et rechercher une solution amiable. Un simple échange de mails ou une réunion de médiation (avec un tiers neutre) peuvent suffire à régler les malentendus.
Si le litige persiste, vous pouvez activer des voies de recours internes :
- La saisine d’un Comité consultatif de règlement amiable (CCRA), qui émet un avis sur les différends nés de l’exécution des marchés. Ses recommandations, non contraignantes, sont souvent suivies par les parties.
- La transaction, contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître, moyennant des concessions réciproques. Elle peut être conclue à tout moment.
En dernier ressort, vous pouvez aussi aller au contentieux via :
- Un référé provision pour obtenir une avance financière immédiate en cas de créance non sérieusement contestable
- Un référé expertise pour constater sans délai des faits susceptibles de donner lieu à un litige (avant travaux correctifs)
- Un recours indemnitaire devant le tribunal administratif pour obtenir réparation intégrale du préjudice subi, dans un délai de 2 mois après le décompte général
Contentieux ne rime pas toujours avec bataille rangée : il peut être un point de passage pour poser le problème "à froid", clarifier les responsabilités et rééquilibrer le rapport de force. L’avocat est votre meilleur allié ! Toutes ces problématiques sont abordées dans notre formation “Contrôle juridique de la passation et l’exécution des marchés publics”.
Quelles compétences et postures clés pour piloter l’exécution des marchés ?
Résumons pour finir les incontournables du métier, au croisement du savoir-faire et du savoir-être, et que nous développons dans nos formations.
Côté hard skills :
- La maîtrise des fondamentaux réglementaires (code, CCAG) et leur traduction opérationnelle et pédagogique en interne
- La vision transversale de toute la chaîne achat, depuis la programmation jusqu’au paiement du solde, pour identifier les impacts croisés
- L’analyse des risques juridiques, financiers et opérationnels pour les prioriser et définir des stratégies de traitement (prévention, protection, transfert)
- La pratique des outils SI du marché (SAP, Ivalua, suites BI) pour produire des reportings et analyses
Côté soft skills :
- La rigueur et l’organisation pour suivre en parallèle un portefeuille étoffé de fournisseurs, sans rien laisser au hasard
- L’esprit de dialogue et de consensus pour mobiliser les énergies en interne (acheteurs, prescripteurs, juristes, financiers) et chez les titulaires
- La réactivité et la résolution de problèmes pour traiter efficacement les aléas, sans les laisser polluer la relation
- La capacité à transmettre et partager les bonnes pratiques, en adaptant son message aux différents profils (métier, juridique, SI)
Autant d’atouts qui font du gestionnaire de marchés un métier toujours d’avenir, qui se structure et se professionnalise sans discontinuer.